L’anesthésie chez le cheval

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L’anesthésie est un ensemble de techniques qui permet la réalisation d’un acte chirurgical, obstétrical ou médical en supprimant ou en réduisant la douleur, avec atténuation ou perte complète de l’état de conscience, Les patients équins sont caractérisés par leur diversité : du jeune poulain au cheval gériatrique, en passant par le cheval de travail ou le ucrack” de compétition, du cheval miniature au cheval de trait, des poneys aux zèbres en passant par les ânes, A cette diversité s’ajoutent des différences de sensibilité pharmacologique selon l’individu, l’âge, la race, l’espèce. On comprendra dès lors mieux l’adage suivant : Chaque patient équin est différent, il existe peut-être des chirurgies de routine… Mais il n’y a pas d’anesthésie de routine.

Un cheval allongé dans l'herbe

Il existe deux grands types d’anesthésie pour chevaux

  • L’anesthésie générale qui est un état comparable au sommeil, produit par l’injection de médicaments et/ou par respiration de vapeurs anesthésiques. L’injection médicamenteuse peut être ajustée pour ne pas induire une perte totale de conscience mais simplement son atténuation, on parle alors de tranquillisation.
  • L’anesthésie loco-régionale qui permet de “n’endormir” que la partie du corps sur laquelle se déroulera l’opération. Son principe est de bloquer les nerfs de cette région, en injectant à leur proximité un produit anesthésique local. Une anesthésie générale peut être associée ou devenir nécessaire, notamment en cas d’in- suffisance de l’anesthésie loco-régionale.

Du cheval vigile au cheval anesthésié, plusieurs étapes

Lors de la consultation initiale, un vétérinaire omnipraticien ou anesthésiste-réanimateur vérifie le signalement et le statut vaccinal du cheval, prend les commémoratifs et effectue un examen clinique approfondi voire des examens complémentaires. Au cours de la consultation, vous êtes invités à répondre aux questions du vétérinaire et à poser celles que vous jugerez utiles à votre information. Le cheval est ensuite réévalué la veille et/ou le jour même de l’anesthésie. Le choix du type d’anesthésie est déterminé en fonction de l’acte prévu et de l’état de santé du cheval.

Puis, le cheval est déferré, de façon à limiter les risques de blessure pour l’animal ou le personnel. Si le cheval doit être couché, il est mis à jeun 8 à 10 heures avant l’intervention (l’accès à l’eau étant conservé), excepté si l’anesthésie est réalisée en urgence ou s’il s’agit d’un poulain (ce dernier pouvant poursuivre la tétée jusqu’au dernier moment).

Une voie intraveineuse est mise en place, qui permet d’obtenir une action rapide et ajustable des molécules utilisées en cours de procédure, à la différence de la voie intramusculaire, réservée le plus souvent aux animaux incontrôlables ou dangereux.

Avant la chirurgie, le cheval est pansé, ses pieds nettoyés, et s’il doit être couché, sa bouche lavée de façon à ôter toute particule alimentaire.

Photo : Cathéter épidural mis en place entre les deux premières vertèbres coccygiennes pour un contrôle optimal de la douleur engendrée par une plaie étendue d’un postérieur. Clinique équine, E.N.V.L.)

L’anesthésie du cheval debout

L’anesthésie debout ou tranquillisation, vise à obtenir une immobilité du cheval, son indifférence vis-à-vis du milieu extérieur (sédation), tout en assurant une prévention de la douleur (analgésie) et en préservant la sécurité des personnes entourant l’animal.

Une contention physique peut être réalisée en prenant un membre antérieur, un pli de peau à l’encolure, une oreille ou en mettant en place un tord-nez. Elle était autrefois de rigueur lors d’intervention sur cheval debout, mais est aujourd’hui reléguée au second plan par l’avènement de molécules capables d’apporter les éléments recherchés précédemment cités, tout en limitant le stress et le danger occasionnés par la contention physique.

Trois familles sont communément utilisées de nos jours pour la tranquillisation du cheval: les phénothiazines (acépromazine), les aj-agonistes (xylazine, détomidine, romifidine) et les morphiniques (morphine, butor- phanol). Les benzodiazépines (diazépam), peu intéressantes pour la sédation chez l’adulte, constituent des molécules de choix pour le poulain.

Il est particulièrement intéressant d’associer ces familles, on réalise alors une neuroleptanalgésie : les effets sédatifs et/ou analgésiques des agents sont potentialisés, leurs doses respectives diminuées et leurs effets secondaires propres atténués.

Cependant, la perception de la douleur avec ce type de protocole n’est pas complètement abolie et une anesthésie locale ou loco-régionale, qui interrompt la transmission des messages nerveux, s’avère souvent nécessaire.

Quelques principes de base sont à respecter pour obtenir une anesthésie de qualité sur cheval debout: travailler dans le calme en limitant au maximum toute stimulation visuelle ou auditive de l’animal, laisser une personne à la tête du cheval de façon à le rassurer. Néanmoins, si la procédure ou l’abord chirurgical est trop complexe, si le caractère de l’animal est délicat, une anesthésie générale peut s’avérer nécessaire.

 

L’anesthésie générale du cheval

L’anesthésie générale peut être réalisée au pré comme en bloc opératoire, elle se déroule toujours en 4 étapes : la prémédication, l’induction, l’entretien puis le réveil. La prémédication: Elle vise à tranquilliser le cheval, à prodiguer une analgésie préventive, à potentialiser les agents anesthésiques généraux de façon à limiter leurs doses et donc leurs effets secondaires. Elle permet dans le même temps de favoriser un couchage en douceur. On utilise ici les molécules décrites pour l’anesthésie du cheval debout.

L’induction: elle consiste à provoquer une perte de conscience et une myorelaxation qui se traduisent par le coucher du cheval. Différentes molécules, administrées par voie intraveineuse sont utilisées, les plus fréquentes étant les anesthésiques dissociatifs (kétamine, tilétamine) et les thiobarbituriques (thiopental) associés ou non à la guaïfénésine ; le propofol rarement utilisé chez l’adulte, l’est plus fréquemment chez le poulain.

Si l’anesthésie est réalisée en salle, le cheval est couché dans un box d’induction capitonné, il est soutenu par des longes fixées à sa queue et à sa tête ou par un bas-flanc. Si l’anesthésie est réalisée au pré, le cheval est simplement tenu avec une longe à la tête. L’entretien: Il consiste à maintenir le cheval en état d’anesthésie par divers procédés, le choix étant guidé par la durée de l’intervention et/ou son lieu. Anesthésie de courte durée (au pré)

Le maintien anesthésique est effectué à l’aide d’agent anesthésique administré par voie intraveineuse. Etant donnée la taille de l’animal, toute dépression cardio- respiratoire, facilitée sur un animal en décubitus latéral ou dorsal, peut être délétère pour le cheval et l’on considère que l’anesthésie générale sans supplément d’oxygène dans l’air inspiré ne doit pas durer plus d’une heure.

Même au pré, un minimum de matériel reste nécessaire pour faire face à d’éventuelles complications : une sonde endotrachéale qui maintient la perméabilité des voies aériennes et permet l’administration efficace d’oxygène, une bouteille d’oxygène reliée à une valve de demande ou à une tubulure, des entraves pour limiter tout mouvement inopportun du cheval.

Comment limiter les effets négatifs de l’anesthésie chez le cheval

Pour limiter les effets délétères d’une dépression respiratoire prolongée, il est recommandé a minima d’apporter un supplément d’oxygène dans l’air inspiré mais il reste préférable d’effectuer une ventilation assistée ou contrôlée à l’aide d’un respirateur. Dans ce cadre, les agents anesthésiques volatils halogénés (halotane, isoflurane) en association avec de l’oxygène (gaz de transport) sont préférentiellement utilisés pour l’entretien, grâce à une machine d’anesthésie volatile. On réalise d’abord une intubation orotrachéale du cheval puis un soin minutieux est apporté au déplacement de l’animal et à son positionnement sur la table de chirurgie.

Dans tous les cas, une surveillance du cheval anesthésié est nécessaire : elle vise à vérifier la profondeur de l’anesthésie: un animal anesthésié trop profond risque une dépression cardio-vasculaire ou respiratoire majeure pouvant aller jusqu’à l’arrêt cardiaque, un animal anesthésié trop superficiel risque de bouger. La surveillance de l’anesthésie repose donc sur l’évaluation de la dépression du système nerveux central et du fonctionnement cardio-vasculaire et respiratoire grâce à l’interprétation de signes cliniques et de paramètres nécessitant un appareillage plus ou moins complexe.

Le réveil: la phase de réveil représente une période délicate, le cheval peut en effet tenter de se lever prématurément à l’arrêt de l’administration des anesthésiques, ce qui peut être dangereux pour le cheval et l’anesthésiste. C’est à ce dernier qu’advient la décision de laisser l’animal se lever ou non ; s’il estime que le cheval est encore sous l’effet des anesthésiques, il réalise une contention physique et/ou pharmacologique.

Pour les actes réalisés dans le pré, le traumatisme restreint lié au faible niveau de la procédure et la courte durée d’intervention permettent un réveil du cheval avec un minimum d’assistance. Lors de chirurgies plus conséquentes en milieu hospitalier, le cheval est conduit en fin d’intervention dans un box de réveil où il peut être assisté dans son effort par des longes à la tête et à la queue.

Durant cette phase, il est intéressant de laisser en place une sonde endotrachéale jusqu’à ce que le cheval soit debout pour supplémenter l’air inspiré en oxygène et limiter toute obstruction des voies aériennes supérieures. Enfin, le calme, la pénombre et l’absence de stimuli extérieurs ou douloureux permettent de limiter la survenue de tentatives de lever trop précoces.

Les risques de l’anesthésie chez le cheval

Anesthésier un cheval est devenu un acte fréquent et commun dans les pratiques vétérinaires françaises, mais ceci est aussi associé comme chez toutes les espèces, y compris l’homme, à un certain niveau de risque anesthésique aboutissant potentiellement à une atteinte grave de l’individu, voire à sa mort. Chez le cheval, ce risque de mortalité ou de morbidité sérieuse est très élevé : cette espèce supporte mal un décubitus prolongé sur le côté et moins encore sur le dos, de part ses conséquences sur les systèmes cardio-vasculaire, respiratoire et neuro-musculaire. Néanmoins, les conditions actuelles de surveillance de l’anesthésie et de la période de réveil permettent de dépister rapidement les anomalies et de les traiter.

Que ce soit lors d’anesthésie générale ou loco-régionale, des complications

Imprévisibles comportant un risque vital comme une allergie grave, un arrêt cardiaque, une asphyxie, une atteinte neurologique sont extrêmement rares.

Une étude, menée entre 1991 et 1996, a montré un taux de mortalité pour complications péri-opératoires de 0,9 % avec comme causes principales: un arrêt cardiaque (32,8 %), une fracture au réveil (23,3 %), une myopathie (7,1 %). Le risque est considérablement augmenté lors d’une atteinte importante des fonctions vitales, comme lors de coliques (risque de 7,9 %).

Les facteurs de risque statistiquement significatifs sont:

  • l’âge (risques moindres entre 2 et 7 ans) ;
  • le choix des anesthésiques ;
  • l’heure (risques supérieurs durant la soirée et la nuit) ;
  • et pour finir, bien sûr, le type de procédure entrepris et la structure clinique dans laquelle l’opération est réalisée.

C’est pourquoi le vétérinaire explique au propriétaire les risques encourus lors de l’anesthésie, lui fait signer une feuille de consentement et informe l’assurance de la procédure.

L’anesthésie d’un cheval n’est jamais chose banale. L’évolution de l’art anesthésique équin a surtout porté sur les conditions de réalisation des actes entrepris puis, entre 1970 et 1990, sur la surveillance de l’anesthésie et de la période de réveil, grâce à une connaissance toujours plus solide des sciences vétérinaires fondamentales et appliquées. Les bienfaits de tels progrès n’ont pas tardé à se faire sentir avec d’une part une diminution de la morbidité/mortalité péri-opératoire et d’autre part une augmentation en nombre et en complexité des procédures réalisées sur les chevaux.

La dernière décennie a vu l’avènement d’une nouvelle problématique pour l’anesthésiste-réanimateur vétérinaire: le contrôle de la douleur. Souvent négligée, cette dernière est une source de complications majeures qui, dans le meilleur des cas, ralentit la récupération du cheval et, dans le pire, aboutit à sa mort. L’analgésie est pourtant une pratique thérapeutique simple qui permet incontestablement d’optimiser la qualité des soins apportés aux animaux et d’améliorer le pronostic de leur affection. Une telle prise de conscience permettra au vétérinaire de ce nouveau millénaire d’offrir à ses patients un environnement plus conforme aux définitions du bien-être et du confort animal et de se rapprocher d’une vision plus humanitaire de cette profession qu’il a choisie… aussi pour ça.

La chirurgie équine du début du siècle était largement dépendante de la contention physique. Noter la tenue de la tête du cheval et les entraves.

Les raisons premières d’induire une anesthésie sur toute espèce vivante sont de prévenir ou soulager la douleur et de réduire un animal à l’immobilité pour faciliter la réalisation d’actes médicaux ou chirurgicaux rendus nécessaires par son état de santé. Les temps “héroïques” de la pratique vétérinaire équine ont largement favorisé une immobilisation dite “physique”, qui a perduré jusqu’au milieu des années 1970. A partir de cette date, la science de l’anesthésiologie équine a rattrapé puis dépassé l’art tel que le démontre la pléthore de publications décrivant et détaillant les agents médicamenteux, les techniques anesthésiques, l’équipement et les méthodes de monitoring spécifiquement conçus pour une utilisation sur le cheval. Dès lors, des programmes de formation dédiés uniquement à l’anesthésiologie vétérinaire comparée ont vu le jour dans la plupart des écoles vétérinaires de par le monde. Ceux-ci prônent actuellement les mérites de la tranquillisation, de l’analgésie et de l’anesthésie “pharmacologique” des chevaux et surtout offrent dorénavant une appréciation de l’art anesthésique équin ancrée sur des connaissances solides des sciences fondamentales et appliquées vétérinaires. Le développement de cette discipline vétérinaire est pour beaucoup dans l’évolution technologique performante de la pratique médicale et chirurgicale équine. En effet, l’anesthésie moderne permet la réalisation d’actes diagnostiques ou curatifs dans des conditions de sécurité accrues pour les manipulateurs et l’animal, en optimisant le contrôle de la douleur et enfin en facilitant grandement la coopération des chevaux vis i à vis des procédures réalisées, ce qui minimise le stress toujours délétère chez un malade.

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